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Les bedjuis

Posté le 23.09.2014 14:52
Bonjour,

Je me demande d'où vient le terme "bedjui" qui désigne les habitants d'Isérables.

Merci d'avance et meilleures salutations

Bonjour,

"Ce surnom n'a jamais disparu du vocabulaire et il est encore utilisé de nos jours. Il semble prouver que les gens d'Isérables descendent des Sarrasins qui ont envahi le Valais au Xe siècle et y ont fait souche. Leur faciès répond du reste de l'authenticité du terme. En fait, ce surnom n'en est plus un, il est vraiment devenu le nom qui qualifiera pour toujours les habitants d'Isérables."

Cette idée sur l’origine de cette appellation "Bedjuis" et "Bedjuasses" s’est largement répandue à partir du début du siècle passé et a été reprise par M. Raphy Rappaz, dans son livre « Les sobriquets des localités du Valais romand », disponible à la Médiathèque Valais – Sion.

Pierre-Emile Crettenand, membre de la Fondation pour Isérables Pro Aserablos démontre que cette hypothèse est improbable en étayant ses propos par  des connaissances acquises au gré de ses recherches.
« A ce jour, les archéologues ne peuvent attester l'existence d'habitations ou de refuges sarrasins dans les Alpes suisses. Quant aux linguistes, ils ne peuvent accréditer l'étymologie arabe, régulièrement postulée, de quelques noms de lieux et de sommets valaisans ». Dictionnaire historique de la Suisse (DHS)

« Le village d'Isérables, au-dessus de Riddes, est une source perpétuelle de fantasme ethnique en raison du surnom des habitants, toujours en vigueur - les Bedjuis - qui évoquerait leurs origines berbères ou bédouines. … Les rares indices concernant la présence ou simplement le passage des Sarrasins dans les Alpes sont de nature uniquement documentaire. Des chroniques dont il faut se méfier puisque «souvent truffées d'imprécisions chronologiques ou factuelles et écrites pour la gloire de princes ou de l'Eglise…. Il y a enfin l'absence totale à ce jour de preuve archéologique. Rien de sarrasin - ni armes, ni monnaies, ni amulettes, ni objets religieux - n'a jamais été trouvé dans les fouilles valaisannes. Les preuves par les traditions ne résistent pas non plus à l'examen: la transhumance anniviarde ? Une habile adaptation aux conditions locales. Les bisses n'ont rien de commun avec les systèmes de canalisations arabes. »
Selon Dominic Eggel, dans le Journal Le Temps en août 2006. Cet historien haut-valaisan a également écrit l’article “Trois siècles de discours sarrasino-valaisans. Synthèse et réflexions”, dans la revue Vallesia, vol. 62, en p. 347-371, disponible en ligne.

L’Essai statistique sur le canton de Vallais de Philippe-Sirice Bridel relate ceci en page 10 :  « Dans le IXe et Xe siècle, quand les Hongrois, les Huns, les Sarrasins ravagèrent une partie de l’Europe et s’emparèrent des passages des Alpes, quelques-uns de ces brigands nomades, fatigués des périls d’une vie errante et cherchant du repos, se fixèrent, à ce que l’on croit, dans les vallées de Viège, d’Anniviers, d’Hérens, de Bagnes jusqu’alors désertes et furent la souche des peuplades pastorales qu’on y trouve de nos jours. »
L’auteur a bien écrit : « … à ce que l’on croit… » puisqu’il est prouvé que ces vallées alpines étaient déjà habitées bien avant l’arrivée de ces hordes de guerriers. On peut aussi lire régulièrement que le faciès « particulier » de nombre de Valaisans n’est pas sans rappeler des traits avec certains types arabes. En observant la photo d’un groupe de Bedjuasses (qui figure sur la bande déroulante du Musée d’Isérables), le visiteur en tire rapidement le parallèle. En fait, le visage hâlé, la peau mate, les cheveux et les yeux sombres découleraient des siècles d'existence au rude climat alpin et entre autre au soleil qui rayonne généreusement dans nos contrées. On pourrait aussi parler de certains lieux-dits et autres  noms de montagnes, même dans le Haut-Valais, qui auraient des consonances arabes ; même le patois d’Isérables en aurait été largement influencé. Historiquement, il est bien sûr avéré que les Sarrasins ont sévi dans nos contrés.  Voici d’ailleurs un extrait du livre de M. Henri Bigot, « Des traces laissées en Provence par les sarrasins », disponible en ligne :
« Ils mirent à feu et à sang toute la Gaule subalpine :
On trouve le récit de leurs atrocités, dans les écrivains contemporains, comme la chronique du monastère de Pedona, près de Coni, dans le Piémont, ou la vie de  saint Romule, évêque de Gênes, ou bien celle de saint  Maïeul. Nous y voyons qu'en 906 les Sarrasins désolèrent les monastères, détruisirent de fond en comble les basiliques, tuèrent et massacrèrent les habitants pendant trois ans; qu'ils ruinèrent les villes de Fréjus, d'Antibes, de Nice et tous les châteaux jusqu'à Albinga, gagnèrent les Alpes dont ils ravagèrent les vallées et les cités, en sorte qu'en Italie et en Provence, « les monastères furent détruits, les villes, les bourgades, les villages même furent dépeuplés. »

Ces ravages durèrent plus de quatre-vingt-cinq ans (890- 975), laps de temps pendant lequel ils restèrent maîtres du pays.

Pour en revenir plus précisément sur l’origine du mot « bedjui », voici une analyse écrite par M. Victor Favre il y a une vingtaine d’années.
« Le 1er novembre 1897, Louis Courthion, dans son journal « Le Valais Romand », donnait une liste de sobriquets de villages valaisans. Il indiquait : « Nous trouvant encore dans l’impossibilité de donner, avec ces surnoms, l’explication de l’origine de chacun d’eux, nous nous bornons, pour l’heure, à les énumérer : … pour Isérables = Li Bedyui.  C’est le plus vieux document écrit faisant mention du sobriquet attribués aux habitants d’Isérables, il n’existait pas avant l’incendie de 1881. »
Les Isérablains – nom donné antérieurement aux habitants d’Isérables – parlaient le patois, et dans leur patois, ils désignaient le village par le mot Djui. Isérables ayant été en grande partie incendié dans la nuit du 24 au 25 juin 1881, il fut reconstruit, comme dans la chanson, plus beau qu’avant. Je conçois aisément que par la suite, un habitant d’Isérables, lors d’une chamaillerie en patois avec des gens d’un village voisin, voulant dire qu’Isérables était un beau village, ait dit : « Isèrablo l’è oun bé djui », et qu’il se soit fait traité de Bedjui par dérision et peut-être un peu par jalousie.

Le 10 mai 1900, la « Gazette du Valais » reprenait de la « Tribune » un article non signé sur Isérables dont voici un extrait : « Isérables, dont les robustes habitants sont surnommés « Bedjuis », épithète considérée comme une corruption de « Bédouins » en raison de l’origine sarrasine attribuée à cette peuplade. » Cette affirmation est faite sans preuves historiques ou scientifiques, elle est uniquement basée sur une certaine homonymie des mots Bedjui et Bédouin. Jamais auparavant il n’est fait mention d’une supposée origine sarrasine pour les habitants d’Isérables.
Que des Sarrasins ou Maures ayant occupé les cols alpins au Xème siècle se soient établis dans certaines vallées valaisannes, cela semble prouvé par la présence des noms de familles : Sarrasin, Mauris, Maury, Morand, Moren, Morend, Moret. Ces noms de famille n’ont jamais existé à Isérables. L’amalgame Bedjui – Bédouin a été, par la suite, repris et véhiculé par les médias et par certains habitants du lieu.
Si l’on se réfère aux découvertes archéologiques faites à Isérables, on constate que la vallée a été habitée dès le IIIème siècle avant J.-C., ce qui correspond à l’arrivée des Véragres dans la région. Ceux-ci doivent être considérés comme étant les véritables ancêtres des Isérablains. »

Avec nos meilleures salutations,

La Médiathèque Valais

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